"J'existe aussi dans cette famille" : le témoignage d'une belle-mère face à une coparentalité toxique
- sagniermarianne
- 10 mars
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 avr.
Dans le cadre de mes recherches sur les familles recomposées, j’ai recueilli le témoignage d'une belle-mère confrontée aux défis d'une relation compliquée avec l'ex-femme de son compagnon. Un récit sans filtre qui interroge la place des "secondes mamans" dans les familles d'aujourd'hui.
Merci à toi, Nathalie.
RÉSUMÉ | "Elle a mis en tête aux garçons que ce n'est que leur demi-sœur"
À 36 ans, Nathalie jongle entre son rôle d'institutrice, de mère d'une petite fille et de belle-mère de jumeaux. Sous pression constante à cause de l'ex-femme de son compagnon qui refuse de reconnaître sa légitimité, elle a fini par exploser après quatre années de tensions. Un témoignage saisissant sur la complexité des familles recomposées, où chaque geste d'affection peut devenir un champ de bataille.
LE TÉMOIGNAGE DE NATHALIE, 36 ANS
Quand aimer un homme signifie devoir composer avec son passé.
Nathalie est institutrice, maman d’une petite fille et belle-mère de jumeaux de 8 ans. En couple avec Jérémie depuis 5 ans, elle a rencontré les garçons alors qu’ils avaient 3 ans. Lorsque leur relation a commencé, Jérémie était déjà séparé de son ex-femme, Lucie, et leur divorce venait d'être officiellement prononcé. Lucie, de son côté, était engagée dans une nouvelle relation avec un homme sans enfant et qui ne souhaitait pas en avoir.
Le système de garde établi était un partage équitable en alternance 2/2/3 (aujourd'hui c'est un 7/7).
"Quand j’ai rencontré Jérémie, je n’avais pas encore d’enfant, mais j’en voulais. Lui, après une séparation brutale, était encore sous le choc mais restait ouvert à l’idée de reconstruire une famille. Il souhaitait que je sois présente pour ses garçons, que je joue un rôle actif. Je suis institutrice, je pense que cela l’a rassuré.
Nous avons pris notre temps. Je ne les ai rencontrés qu’au bout de six mois. Quand nous avons emménagé ensemble, j'étais éperdument amoureuse de Jérémie, prête à construire quelque chose de solide."
Mais si Nathalie s’attendait à ce que la recomposition d’une famille exige des ajustements, elle était loin d’imaginer à quel point la place de l’ex-femme serait présente au quotidien.
"Dès les premières semaines, j’ai compris que Lucie n’avait pas vraiment quitté notre foyer. Elle était partout. Au début, c'était des appels constants : pour tout, pour rien, à toute heure. Il fallait lui envoyer une photo et une vidéo quotidiennement, l'informer de nos activités. Puis il y avait les passages à l'improviste. Samedi matin, elle sonnait : "Je vais chez le coiffeur, tu peux garder les garçons ?" Une autre fois, elle les déposait sans prévenir : "J’ai un imprévu, je les laisse une heure !" Mais parfois, l'imprévu durait tout l'après-midi.
J’aurais accepté volontiers d’aider si les choses avaient été équilibrées, mais il y avait une contradiction douloureuse : j'étais bonne à être disponible quand ça l’arrangeait, mais dans le même temps, je n’avais aucun droit. Je ne pouvais pas aller chercher les enfants à l'école, ni m’occuper d’eux en l’absence de leur père sans que cela devienne un problème. Elle voulait garder un contrôle total sur leur quotidien, tout en me reléguant à une présence interchangeable. Il était clair que j'étais là uniquement pour la logistique, mais en aucun cas pour avoir un rôle significatif. C'était pratique que j'existe, mais je ne comptais pas. La seule personne qui comptait pour ses enfants, c'était elle, et par extension, leur père."
Au fil du temps, les tensions s'accumulent et les consignes données aux garçons deviennent de plus en plus rigides.
"Elle leur a martelé que je n'étais rien pour eux. Qu'ils ne devaient jamais m’appeler autrement que "Nathalie". Qu'ils ne devaient pas m'embrasser, ni me faire de câlins. Un jour, l’un d’eux s’est blessé au genou en tombant. Il pleurait, je voulais le consoler, mais il s’est arrêté net et m’a dit : "Non, tu n'es pas ma maman, c'est seulement les mamans qui font des calins". J'ai compris ce jour-là à quel point elle avait verrouillé l’espace affectif.
Un autre jour, alors que nous étions en vacances, l'un des garçons s'était spontanément assis sur mes genoux en riant. Il s'est figé, a regardé son frère, et s'est levé brusquement comme s'il venait de commettre une faute grave. Ce n'était pas une réaction naturelle : c'était le résultat d'un conditionnement."
Jérémie, lui, mettait du temps à réagir. Au début, il minimisait, préférait éviter les conflits. Pour lui, devoir rendre des comptes sur le fonctionnement de notre foyer n'était pas bien grave. Il ne comprenait pas que je me sente envahie. Quant à la gestion de ma relation avec les garçons, au final j'ai l'impression que c'est lui qui en a le plus souffert. Me voir me débattre puis abandonner peu à peu l'idée d'une relation affectueuse avec ses petits, ça l'a énormément fait souffrir."
La situation finit par déborder lorsque Nathalie se rend avec les enfants (sans Jérémie) au supermarché et croise Lucie.
"Elle m’a regardée et a soufflé : "Tu crois vraiment pouvoir jouer à la maman avec mes enfants ?"
C’en était trop. Une fois les enfants partis, je suis allée la voir et je lui ai tout dit. Que je n'avais jamais voulu prendre sa place. Que cela me semblait même absurde. Et qu'il fallait arrêter de penser que toutes les belles-mères rêvent de s'approprier des enfants qui ne sont pas les siens ! Et qu'est-ce qu'elle s'imagine ? Que ses enfants se comportent parfaitement ? Et que ce n'est pas une charge mentale énorme que d'avoir à s'occuper d'eux ? On le sait, avoir des enfants ce n'est pas tous les jours facile. Mais alors pourquoi penser qu'en tant que belle-mère notre seule envie c'est de voler le rôle de maman alors que parfois on préfererait juste qu'ils ne soient pas là".
Elle m'avait poussé dans mes retranchements et j'en avais plus qu'assez qu'elle me prête des intentions que je n'avais pas. Oui, je peux rougir de l'avoir dit mais je lui ai balancé que j'aurais préféré que Jérémie n'ait pas d'enfants. Mais que vu qu'ils sont là, et bien j'étais prête à leur offrir un cadre sécurisant, une oreille attentive, du réconfort et qu'elle ne pouvait tout simplement pas m'interdire d'exister au sein de mon propre foyer.
J’ai essayé de lui faire comprendre que je n’avais pas envie d’être leur mère, mais que je voulais pouvoir être une figure adulte bienveillante et respectée. Qu’elle n’était plus la femme de Jérémie et qu’elle devait accepter que la dynamique change."
De son côté, Jérémie a pris conscience qu’il devait poser des limites pour préserver sa relation avec Nathalie. Mais tout n’est pas réglé.
"Notre fille a bientôt 1 an. A notre grand désespoir, la maman a mis en tête aux garçons que ce n'est que leur demi-sœur. Et qu'elle et moi on ne fera jamais vraiment partie de leur famille, qui est : papa, maman, les garçons. Alors quand ils sont là, j'ai l'impression que ma vie de famille est divisée. Nous ne sommes pas unis, simplement un assemblage de personnes ayant des relations bien distinctes. Pas une famille.
J'ai un goût amer sur ma vie. Si seulement Lucie pouvait comprendre que j'essaie juste d'être un parent pour ses enfants, et certainement pas leur mère. La distinction est grande. Je vois bien aujourd'hui avec ma fille que le lien mère-enfant est irremplaçable. Je me dis que si cette femme avait pu travailler sur son insécurité en tant que maman, alors ma vie aujourd'hui serait bien plus facile, sereine et harmonieuse.
Je ressens un paradoxe absurde, et lourd : je suis en couple avec Jérémie, nous avons fondé un foyer, et pourtant, une autre femme continue d'avoir une voix au sein de notre famille.
Je lui en veux tellement pour cette impression de vie scindée. Elle, elle a choisi de quitter son foyer, de diviser sa vie. Moi non, et pourtant c'est mon quotidien. Je ne sais pas comment me débarrasser de cette colère. Raison pour laquelle je consulte aujourd'hui. J'ai besoin d'apprendre à gérer ma frustration pour ne pas que cela détruise tout ce que nous avons envie de construire. »
Ce témoignage est publié dans le cadre de mon étude "Familles Recomposées : Les Voix Silencieuses". Si vous souhaitez également partager votre expérience en tant que belle-mère ou beau-père, n'hésitez pas à me contacter par téléphone ou email.
Possiblité de témoigner de manière anonyme.

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